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Cheminées sarrasines

Cheminées sarrasines en bresse

Aimable contribution de Romain Bourgeois, responsable de la Ferme du Champ bressan – Musée du terroir à Romenay (71)

Au même titre que la gastronomie, le paysage bocager ou le costume traditionnel, les cheminées sarrasines portent une identité, celle de la Bresse bressane, et marquent un territoire. Depuis plus de deux siècles, ces étranges silhouettes passionnent historiens et folkloristes, architectes et érudits. Pourquoi de telles formes ? Pourquoi si peu de cheminées encore visibles ? Et surtout pourquoi ce qualificatif de « sarrasines » ?

La ferme des Planons dans les années 1920Au début des années 1920, l’historien Gabriel Jeanton s’émeut de la disparition progressive des cheminées. Sans doute à sa demande, photographes et érudits (parmi lesquels Moraine et Emile Violet) parcourent la campagne pour conserver en noir et blanc la mémoire de ces édifices menacés. A cette époque, les fermes conservent leur vocation d’espace agricole et d’habitation ; en vêtements de travail ou en costume d’apparat, les fermiers posent fièrement devant leur logis.

La plupart des cheminées photographiées dans les années 1920, ont été détruites ; ces clichés sont donc l’ultime témoignage d’une architecture aujourd’hui restreinte à 34 exemplaires.

Découvrir la Ferme du Sougey à Montrevel-en-Bresse, propriété du Conseil général de l’Ain et gérée par l’association des Amis du Sougey et de la Bresse, Le Sougey, emblème de la Bresse rurale – 503 ko – PDF

Le dépliant « Mystères et cheminées de Bresse, un patrimoine unique » – 2,6 Mo – PDF

Les cheminées, où et quand ?

Aire géographique
Le territoire des cheminées sarrasines correspond principalement à la zone méridionale de la Bresse, appelée Bresse savoyarde ou Bresse bressane. Terre de droit écrit, ce territoire possède sa langue (le francoprovençal), ses spécificités vestimentaires (le chapeau bressan « à cheminée »), son architecture propre…

Si aujourd’hui les cantons de Saint-Cyr-sur-Menthon et Saint-Trivier-de-Courtes sont fréquemment cités comme emblématiques des fermes subsistantes, il n’en a pas toujours été ainsi. Dans les années 1930, les Guides des fêtes populaires et traditionnelles de la Bourgogne, pionniers dans le tourisme régional français, retiennent les secteurs de Pont-de-Vaux et Romenay comme « régions des cheminées sarrasines ». La démolition de nombreuses cheminées a modifié le paysage autant que les mentalités.

Un peu d’Histoire…
Des études archivistiques sur le sujet permettraient de mieux connaitre le contexte socio-économique qui a vu naître ces fermes. En outre, le faible reliquat de cheminées subsistantes aujourd’hui offre une vision restreinte de l’Histoire. La datation scientifique par dendrochronologie (analyse du bois) des poutres maîtresses, donne une idée des époques de construction. L’édification des plus anciennes cheminées remonte au moins au 14e siècle (Moulin Ronfat, à Vescours, 1375, cheminée détruite). La ferme de la Bourlière, à Chevroux, possèderait la plus ancienne cheminée encore en place (poutre-maîtresse de 1415 environ).

Plusieurs fermes des environs de Vescours et Saint-Trivier-de-Courtes encore en place, datent du 16e siècle : Montalibord (1450-1518), Locel (1529), La Forêt (1581) , Grandval (1503), La Servette (1505), Le Tremblay (1550), tandis que les cheminées encore visibles dans le secteur de Romenay, sont édifiées au 18e siècle : Les Chanées (1703), Le Champ bressan (1705), Saint-Romain (1798).

La cheminée sarrasine est toujours composée de 3 éléments : le foyer ouvert, la hotte pyramidale et la mitre ouvragée.La zone d’édification que Gabriel Jeanton a défini en 1924 à partir des vestiges alors connus, s’est largement réduite avec les années : du canton de Louhans au nord, Péronnas et Saint-Denis-les-Bourg au sud, la Saône comme limite ouest et les premiers contreforts du Revermont à l’est, ce territoire se restreint aujourd’hui à quelques secteurs : Romenay au nord et Saint-Cyr-sur-Menthon au sud, Reyssouze à l’ouest et une ligne Beaupont-Saint-Etienne-du-Bois à l’est.

 

Façon de construire, façon d’habiter

La ferme bressane
En Bresse du sud, la ferme se trouve fréquemment isolée. La construction est orientée à l’Est. Elle s’appuie généralement sur le radier et la sole, l’ossature en pans de bois prenant appui sur cette dernière. Ces pans, appelés « trappans », reçoivent un remplissage de terre crue (torchis ou pisé) ou de briques. Couverte de tuiles creuses, la toiture est peu inclinée (la Ferme de Servette à Saint-Trivier-de-Courtes, constitue en ce
sens une exception). L’auvent isole la façade des intempéries en même temps qu’il permet le stockage de petit matériel et le séchage du maïs. L’accès au grenier se fait par un escalier extérieur.

Du foyer à la mitre : la cheminée
La « maison » est parfois la seule pièce chauffée de l’habitation. Le foyer n’est pas établi contre un mur mais à même le sol -sur un parterre de briques ou de pierres-, d’où le nom de « foyer chauffant au large ». Surmontant le foyer, une vaste hotte prend appui sur un mur de refend et la poutre-maîtresse. Cette hotte supporte la mitre, visible de l’extérieur. Si on retrouve foyers au large, mitres ornées et larges manteaux de cheminées dans l’architecture de nombreuses civilisations, la combinaison des trois constitue l’originalité de la cheminée bressane.

En 1924, Gabriel Jeanton prend soin d’indiquer les cheminées incomplètes, amputées de leur mitre, ou dont la hotte a été obturée. Aujourd’hui encore, le patrimoine des cheminées sarrasines ne constitue pas un ensemble homogène ; parmi les 34 cheminées « complètes » recensées, nombreuses sont celles qui ont subi des transformations, et il subsiste plusieurs fermes ne comprenant que la hotte ou la mitre.

L’espace d’habitation se divise en pièces en enfilade, munies de petites ouvertures sur l’extérieur. La pièce principale ou « maison », qui s’ouvre plus largement au dehors, reçoit le foyer de la cheminée. Les autres pièces jouxtant la « maison » se répartissent en chambres, pièce d’évier ou encore cellier.

Restaurée par la commune, la ferme du Champ bressan à Romenay abrite désormais un musée du terroir.

L’imaginaire sarrasin

De la tradition à la quête scientifique
Le légendaire sarrasin habite la mémoire de la Touraine à la vallée du Rhône, en passant par les Alpes et quelques villages du Val de Saône. Madame Karine BASSET a consacré de nombreux travaux universitaires à ce sujet.

Au 18e siècle, des érudits locaux pensent reconnaitre des populations descendant de guerriers arabes à Boz et à Sermoyer, près de Pont-de-Vaux. François-Pierre de Secqueville, le Comte de Montrevel et Thomas Riboud évoquent tantôt les physionomies, les costumes, les moeurs ou encore les fameuses « cheminées sarrasines » dans leurs Mémoires. En Mâconnais, Alphonse de Lamartine revendique une ascendance gésitaine (population de prisonniers musulmans faits par les Croisés au siège de Gaza). Rapportée et soutenue par les érudits locaux, cette tradition populaire d’une origine arabe a été largement combattue en tant que vérité historique. Mythe ou réalité ? Aux descriptions empiriques ont succédé des recherches scientifiques.

Différents types de mitres :  « en lanterne », ferme du Sougey, Montrevel-en-Bresse / à base carrée, ferme de la Forêt, Saint-Trivier-de-Courtes / à base octogonale, ferme des Planons, Saint-Cyr-sur-Menthon

Chacun a cru trouver une origine ethnique à ces fameux Sarrasins ? Au cours du 19ème siècle, Monnier et Sirand réfutent la thèse de l’envahisseur arabe, invoquant plutôt des colonies illyriennes ou pannoniennes (régions danubiennes), installées au 3ème siècle par les Romains. En 1894, l’anthropologue Arsène Dumont met en exergue le type tzigane d’une population minoritaire d’Uchizy. A l’aube du 20ème siècle, Gabriel Jeanton évoque, à travers les archives, des populations bohémiennes ou hongroises qui se seraient établies au début du 15ème siècle, tandis que dans les années 1980, le sociologue Bernard Poche propose la théorie de tribus ligures (nord-ouest de la péninsule italienne) opposées à l’unification de la Maison de Savoie.

Le Sarrasin ou l’Autre
Pour Gabriel Jeanton, il s’agirait d’une interprétation erronée du terme médiéval signifiant « étranger à notre culture », dans le même sens que le barbarus latin. Le sarrasin désigne l’Autre, celui venu d’un ailleurs physique ou imaginaire ; des fortifications gallo-romaines peu courantes, une variété de plante appelée « blé noir » ou « blé de Turquie »… Assurément, le « sarrasin » dénote du local.

A partir du 18e siècle, les auteurs qualifient les cheminées bressanes de « sarrasines » pour étayer une thèse orientaliste sur leur origine.

Ainsi, nos « cheminées sarrasines », qui aujourd’hui pourtant sont devenues un des symboles de la Bresse, seraient passées pour étrangères à la culture bressane, du moins au 18e siècle. Il faut pourtant rappeler que seuls les érudits locaux les qualifient alors de « sarrasines » ; aucune trace n’a été relevée dans les archives anciennes (on y parle de « cheminées chauffant au large »), et encore dans l’entre-deux-guerres, les habitants (à l’instar de Madame Hélène Basset) évoquent plus volontiers les « grandes cheminées » ou « cheminées à clocher ». Le sarrasin dénote souvent un qualificatif péjoratif. «Gésitain» était fréquemment synonyme de lépreux ; l’ethnologue et folkloriste Arnold Van Gennep rapporte quant à lui que « sarrasin » en patois savoyard signifie «vagabond» ou«brigand ». Selon les récits, les populations « sarrasines » des bords de Saône souffrent fréquemment d’une mise à l’écart, voire d’un rejet marqué de la part des populations voisines. Le qualificatif appliqué aux cheminées ne semble pas avoir comporté de connotation négative.

Le terme de « cheminée sarrasine », devenu aujourd’hui générique, évoque au contraire un exotisme plutôt sympathique auquel renverraient ces étranges silhouettes venues d’un autre temps…

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