Le châtiment corporel plutôt que la prison
Durant le Moyen-Age, la justice dispose d’un arsenal très complet et très varié de peines pouvant être infligées aux condamnés :
La liste est longue. En revanche, l’emprisonnement est très peu pratiqué et n’est pas considéré comme une peine au Moyen-Age. Les prisons servent essentiellement à l’incarcération des accusés en attente de leur jugement, et non à celle des condamnés. La torture n’est pas non plus une peine : même si elle constitue une atteinte à l’intégrité physique, elle n’a pas pour but de punir, mais d’obtenir des aveux dans le cadre d’une instruction.
La Révolution française marque un véritable tournant dans le principe d’application des peines puisque les châtiments corporels sont en grande partie supprimés. La peine de mort par décapitation et les travaux forcés continuent d’occuper les plus hauts degrés de l’échelle des peines. Mais désormais, finies les ablations de poignets, de langue ou d’oreille : c’est l’emprisonnement qui constitue la peine la plus courante.
Sous la Restauration, en 1814, le Département a fait établir un devis pour la construction d’une machine à châtier : installée dans la prison de Bourg et mise à la disposition du bourreau, elle devait servir à trancher le poignet de certains condamnés. Il semble que cet instrument n’ait jamais servi.
Larrons, faux-monnayeurs, hérétiques… à chaque crime, son châtiment
A Gex, les archives du châtelain sont riches d’anecdotes qui témoignent de la façon dont on traite les coupables au Moyen Age. A chaque type de crime commis correspond un châtiment précis : les larrons sont pendus ou mutilés, les sorciers et hérétiques sont brûlés sur un bûcher, les faux-monnayeurs sont ébouillantés, etc. Les larrons constituent le fond de commerce du bourreau que l’on appelle « laniste » à Gex, du nom de ce maître de guerre qui a pour charge de former les gladiateurs sous l’Empire romain.
Les larrons sont des voleurs qui vivent de leur rapine. En cela, ils se distinguent très nettement des voleurs occasionnels qui sont également recherchés et condamnés pour leur forfait. Mais alors que ces derniers sont condamnés à une amende pécuniaire peu dissuasive, le seigneur justicier est beaucoup plus intransigeant avec les professionnels du brigandage.
Dans le meilleur des cas, le larron est mis au carcan, mais il sont le plus souvent mutilés :
Les sentences varient sensiblement d’une affaire à l’autre et vont de la simple peine infamante (carcan) à la mort par pendaison. Le choix du supplice est laissé à la discrétion du seigneur justicier, mais cela tient plus encore à la nature des faits reprochés au criminel.
Voler un cheval par exemple, est un crime très grave, proportionnel à la valeur de l’animal qui peut atteindre, pour des destriers équipés, taillés pour les longues chevauchées et le combat, des sommes astronomiques. C’est pourquoi, un homme qui avait volé un cheval en 1389 est banni du comté de Savoie pendant 10 ans non sans avoir l’oreille coupée auparavant.
Les escrocs sont punis pour leur crime avec la même sévérité que les larrons, mais avec un supplice spécifique : la mort par noyade. C’est ce qui arrive à François Arbalestrier, ancien notaire à Saint-Jean-de-Gonville, convaincu d’avoir trempé dans de multiples affaires douteuses et qui finit, selon les termes du châtelain, « in aqua submersus », c’est-à-dire noyé. Le châtelain en question, Pierre Bonnivard, versera 5 florins au bourreau Etienne Vuillet pour son salaire.
Le feu est réservé pour les hérésies. En 1483, deux femmes reconnues hérétiques périssent sur le bûcher à Gex. Les faux-monnayeurs ont droit à un supplice particulièrement abominable. Un orfèvre convaincu d’avoir frappé de la fausse monnaie est arrêté à Gex en 1392. Dans un premier temps, il est exposé sur la place publique. Pour souligner son crime, une centaine de jetons en fer blanc sont cousus sur sa veste. Puis il est plongé dans un chaudron rempli d’huile et de soufre. Il meurt ébouillanté dans des souffrances impossibles à imaginer.
Terroriser pour mieux régner
Les châtiments sont des moments exceptionnels dans la vie d’une communauté au Moyen Age. Rares sont ceux qui n’assistent pas au spectacle. La violence infligée au condamné lors de son supplice est inouïe : les bruits des instruments de torture, les cris de douleur et le sang fascinent autant qu’ils répugnent. Or ces deux sentiments, bien que contradictoires, constituent autant de raisons d’attirer les masses. A cela s’ajoutent la mise en scène et la tenue du bourreau. La foule se sent portée et associée à l’action de justice. Tout est soigneusement étudié pour dissuader l’assistance de s’adonner au crime. Le roi lui-même affirme « qu’on ne punit pas pour le méfait mais pour l’exemple ».
Derrière ces cérémonies parfaitement orchestrées se cache une intention très précise : asseoir le pouvoir en place en agitant le spectre du déshonneur sur la population. En effet, au Moyen Age comme en bien d’autres époques, la réputation et l’honneur sont le ciment de la communauté, la condition sine qua non de son bon fonctionnement. Or par son jugement et les terribles peines qu’il est en droit d’infliger, le seigneur peut faire ou défaire la renommée de chacun de ses justiciables. Cela équivaut presque à un droit de vie ou de mort sur eux.
C’est sans doute, pour le Duc de Savoie, la meilleure façon d’exercer une domination sans partage sur ses terres.