Le véritable essor de la construction castrale a lieu dans le dernier quart du Xe siècle. L’édifice fortifié s’oriente vers une vocation plus individuelle que collective, destiné à abriter un seigneur et sa suite, un chef et ses guerriers, et la basse-cour continue de servir à l’occasion de refuge aux paysans des alentours. Le symbole caractéristique de cette nouvelle orientation est la motte castrale.
Les mottes appartiennent à la grande famille des « châteaux de terre » du Moyen-Age, demeures ou résidences fortifiées symbolisant une puissance politique éclatée. Ces châteaux prennent des formes variées mais sont toujours caractérisés par l’aménagement du terrain : terrassements, déplacements de matériaux pour former des refuges, plateformes et remparts souvent complétés par des fossés et des dispositifs défensifs en bois.
Aujourd’hui, ces fortifications marquent encore nos paysages de manière très nette. Leurs traces sont lisibles dans la topographie, le découpage cadastral, les contrastes de végétation ou encore les indices toponymiques.
En s’appuyant sur des critères morphologiques et historiques, les châteaux de terre peuvent être répartis en trois catégories :
La région Rhône-Alpes s’est révélée riche en sites fossoyés, qu’il s’agisse d’enceintes, de maisons fortes ou de mottes castrales, majoritaires en Bresse et Dombes.
Le phénomène des mottes apparaît brusquement et se diffuse rapidement. Dès le début du XIe siècle, on en voit partout, de la Flandres à l’Aquitaine, au Dauphiné, à la Savoie, mais aussi en Gascogne, en Languedoc et en Provence. C’est un phénomène européen, puisqu’il en existe dans la vallée du Rhin, en Italie et en Espagne.
La diffusion de la motte correspond à un moment d’écartèlement politique et à une recherche de protection individuelle. C’est un abri et un instrument de domination. Elle était facile à construire avec peu de moyens et facile à défendre. Les constructions étaient généralement de bois, comme le confirment les fouilles.
L’essentiel de la vie du château se déroulait dans la basse-cour. De nombreux bâtiments y étaient construits : une chapelle castrale, parfois transformée en chapelle paroissiale subsistante de nos jours ; des constructions résidentielles et domestiques, agricoles ou artisanales.
Les mottes castrales ont longtemps été négligées par les historiens, laissant libre cours à de multiples interprétations souvent fantaisistes quant à leur origine (tumuli préhistoriques, lieux de culte druidiques…). Au XIXe siècle, des archéologues avisés reconnaissent dans les mottes des édifices médiévaux. Mais seuls les châteaux de pierre font l’objet de descriptions et d’études réellement affinées. Parmi les érudits clairvoyants, l’abbé Marchand pour la Bresse et la Dombes, amorce des études sur l’origine médiévale de ces mottes aussi appelées « poypes » en Rhône-Alpes.
Les premières recherches sur ces « moated sites » sont initiées en Grande-Bretagne dans les années 50. A cette époque, l’hypothèse d’établissements fortifiés n’est pas prise au sérieux. Différentes périodes d’apparition de ces mottes (protohistoire, époques gallo-romaine et médiévale) et diverses fonctions (lieux de culte, sépultures en tumuli, postes d’observation) sont encore avancées.
Un important travail de recensement des fortifications de terre est valorisé lors d’un colloque organisé à Caen en 1984. Des recherches universitaires ont été menées sous l’impulsion du médiéviste Michel de Bouard. Les fouilles et l’étude des archives montrent rapidement l’origine médiévale de ces monuments, réalité matérielle de ce que les textes appellent « castrum » aux XIe et XIIe siècles.
De nombreuses questions se posent, dont certaines n’ont pas trouvé de réponses définitives : la motte est-elle d’origine spontanée ou contrôlée ? Où a pris naissance cette forme de fortification ? S’agit-il d’une forteresse ou d’un habitat ? Quelles sont les fonctions respectives des enceintes et des mottes ? Comment s’établit le lien entre fortifications de terre et de pierre ?
Historiens et archéologues ont tenté d’établir une typologie de la motte castrale, à la suite de l’archéologue Arcisse de Caumont en 1869. Si l’on s’en réfère à sa forme classique, la motte est composée d’un monticule ou tertre, d’allure tronconique, et d’une plate-forme adjacente, ou « basse-cour », de forme elliptique. Ces éléments sont protégés par des fossés, doublés le cas échéant d’un rempart, ou levée de terre, érigé avec des matériaux provenant des fossés.
Les différences morphologiques constatées sur le terrain doivent plus au contexte naturel qu’à la destination des édifices. De ce point de vue, on peut dissocier les mottes entièrement artificielles, les mottes semi-artificielles des régions de collines et les reliefs aménagés des secteurs montagneux.
Des sources iconographiques tels que la Tapisserie de Bayeux (fin du XIe siècle) nous montrent que des rampes et passerelles de bois assuraient le franchissement des fossés et l’accès au sommet de la motte. Il faut donc garder à l’esprit que les monuments ne restituent qu’une image tronquée de leur aspect d’origine. Seules les tours de pierre, édifiées plus tardivement, évoquent les installations de bois qui les ont précédées.